La montée en puissance d'Aube Dorée
Une aube obscure
Comme l’Espagne, la Grèce a été sous la coupe d’un dictateur qui est mort dans son lit. Et une guerre civile.
Comme l’Espagne, la Grèce peut se prévaloir de 40 ans de démocratie sans interruption. Et autant d’années de bipartisme.
Comme l’Espagne, la Grèce rêve avec l’Europe, et avec l’euro. Et s’est endettée et a eu recours à l’emprunt.
Comme l’Espagne, la Grèce a connu un accroissement de la mortalité infantile, des inégalités sociales, de la pauvreté absolue et relative, des expulsions et du taux de chômage.
Nous avons eu des aéroports et des formations inexistantes pour les chômeurs. Eux ont eu les Jeux olympiques en 2004.
Comme l’Espagne, ils ont eu un gouvernement social-démocrate qui a donné le coup d’envoi de la sortie de la crise la plus grave de son histoire récente. Et un gouvernement de centre-droit qui a trahi les attentes de la population.
Et pourtant, la Grèce n’est pas l’Espagne. La social-démocratique du PASOK grec a signé son arrêt de mort en formant un gouvernement d’union nationale avec la Nouvelle Démocratie pour faire adopter son programme d’austérité. Pendant deux ans, le parti Syriza a occupé le devant de la scène politique grecque, en étant à la tête de la région de l’Attique. Deux éléments clefs sont donc à retenir. D’une part, la condamnation à la disparition et à l’ignominie nationale du parti de centre-gauche PASOK, parti que l’on croyait indestructible et qui a pourtant recueilli moins de 5% des suffrages. D’autre part, l’expérience probante de Syriza en gouvernant la région la plus peuplée du pays, ce qui aura sans aucun doute légitimé son accession au gouvernement.
Aujourd’hui nous sommes à coup sûr à l’aube d’un nouveau jour en Europe. Une aube peut-être verte comme l’espérance, mais surtout, une « Aube Dorée ».
Troisième force politique depuis les élections européennes de mai, le parti a obtenu quasiment le même résultat à l’échelle nationale. Avec une absence totale de moyens de communications et 7 députés en prison, Aube Dorée a obtenu plus de 400 000 voix, venues pour la plupart de petits commerçants et de travailleurs autonomes. Ce serait une erreur de les ignorer dans l’euphorie de la victoire de Syriza. De même qu’il serait erroné de les taxer d’égarement idéologique.
Portrait d’une extrême-droite socio-culturelle
Le néofascisme grec trouve ses racines dans la doctrine d’un personnage controversé, le général fasciste Ioannis Metaxas, dirigeant de 1936 jusqu’à sa mort en 1941. Il est toutefois dans certains domaines considéré comme un héros national pour sa victoire face l’invasion de l’Italie de Mussolini et son rétablissement de la monarchie.
“Aube Dorée”, mouvement xénophobe d’extrême-droite, chercher à redessiner un nationalisme grec manifeste depuis l’indépendance tardive de 1830. Celui-ci reprend la “Megali Idea” ou panhellénisme, qui n’est autre qu’un projet de création d’un Etat-nation ethniquement pur, dont les frontières seraient celles de l’ancien Empire byzantin.
Le mouvement “Aube Dorée” est-il une conséquence de la crise grecque ? Oui et non. Le néofascisme grec a une large trajectoire, comme celle du Front national en France. Comme nous l’avons vu il récupère la tâche historique de réinstaurer la splendeur culturelle et spirituelle de Byzance. Il se fonde sur la doctrine spartiate, le paganisme, le fascisme et des Afrikaners de l’ère de l’Apartheid. D’un nationalisme grec confronté non pas à lui-même, comme dans le cas espagnol, mais comme un ennemi extérieur. L’ennemi perse, ottoman, macédonien/yougoslave, italien, la Troika… Nombreuses auront été les guerres de ce petit pays pour réaffirmer son indépendance, ce qui a contribué à la persistance d’un ultranationalisme latent. Un sentiment considéré comme dépassé dans la plus grande partie de l’Europe, et pourtant en plein essor dans des pays comme la Hongrie, la Finlande, la France, les Pays-Bas, la Grèce…
En accord avec l’aspect purement racial de cette vision nationaliste, ils proposent un modèle prônant notamment l’interdiction du mariage “mixte”, la suppression de la citoyenneté des immigrants légaux et illégaux, l’encouragement de la natalité et l’interdiction de l’avortement. Le racisme inhérent à son idéologie ne vient pas directement du nazisme – lequel n’est pas grec – mais de la croyance à la “continuité du sang hellénique”.
La terreur qu’éveille le néofascisme grec d’”Aube Dorée” dans les médias internationaux viendrait de ses positions ouvertement racistes mais surtout d’une mise en scène proche du national-socialisme. Néanmoins, sa symbolique, bien qu’approximative, a des racines exclusivement grecques. Le symbole du parti ne représenterait que le traditionnel “greca” grec, pilier de l’art hellénique et qui a la forme de vagues. Symbolique adulée par des millions de touristes dans le monde entier. Le salut bras levé ? Il tirerait son origine non pas du fascisme mais de l’adoration des anciens Grecs du dieu Apollon.
L’attitude violente et raciste de ses représentants est justifiée ou relativisée par une partie de son électorat et définie comme légitime dans un pays où le salaire minimum est de 510 euros, où les retraites ont été coupées de 20%, où l’âge de la retraite a été repoussé de 63 à 67 ans et où le nombre d’expulsions de domicile est nettement supérieur à celui de l’Espagne. Dans un pays où on en est arrivé à vendre des bons du trésor avec une prime de risque de 3,642 en été 2012 (taux d’intérêt de 36,42%) contre 638 (6,38%) pour le record espagnol. Un pays qui est le premier débiteur du Fonds Monétaire International au monde.
Son programme : la révolution
Pour Aube Dorée il n’y a pas d’autre interlocuteur que le peuple ethniquement grec. Une sortie automatique de l’OTAN et de l’Union européenne est prévue, de même que de la zone euro. Quelque chose de pas si insensé pour un autre parti parlementaire aux antipodes idéologiques est le Parti Communiste grec (KKE), avec 15 sièges. Les deux partis, qui contrôleront près de 12% du Parlement, illustrent le côté le plus amer de la politique, celui de l’orthodoxie idéologique et de la violence institutionnelle.
Le nouveau gouvernement d’Alexis Tsípras, en coalition avec la droite nationaliste des Grecs Indépendants (ANEL), reflète une volonté d’unité nationale pour l’élaboration d’un plan économique anti-austérité. Au groupement eurocommuniste et écologiste de Syriza, formé de 13 groupes politiques, s’ajoutent les 13 députés de ANEL, ce qui permet d’atteindre ainsi la majorité abosolue. Les deux partis auraient proposé une stratégie commune pour une éventuelle renégociation de la dette grecque. Une alliance curieuse sur le plan strictement idéologique, puisqu’ils diffèrent radicalement sur les questions de l’immigration, des relations Etat-Eglise ou du mariage homosexuel. Même si la situation actuelle est peu commune.
L’ingénieur Trípras ne sera pas seulement pour la première fois président de la République grecque. Il sera le premier à être investi par une fonction strictement laïque, sans la traditionnelle présence du patriarche d’Athènes. Il sera le premier à en finir avec 40 ans de bipartisme, dans un pays qui a vu trois générations successives de la famille Papandreou au pouvoir. Il sera le premier avec une claire orientation anti-austérité dans une Union européenne lassée d’une opposition Nord – Sud.
Aujourd’hui, la seconde voie a gagné, celle d’une alternative négociée, avec l’Europe, en Europe. Mais il ne faut pas baisser la garde, car un effondrement de cette coalition pourrait bien être propice à une troisième voie sans l’Europe, hors de l’Europe. La Grèce a été le berceau de la démocratie mais pourrait bien en être le tombeau. Comme l’écrivait Lord Byron, “1000 ans sont à peine suffisants pour créer un Etat. Mais il peut suffire d’une heure pour le réduire en poussière”.
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