Faut-il rebaptiser les collèges et les lycées Colbert ?

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Cette polémique a eu lieu il y a une semaine. Colbert fut le ministre de Louis XIV au XVIIIeme siècle, mais aussi l'un des instigateurs du Code noir qui réglementait l'esclavage dans les colonies françaises. Pour cette raison, certaines associations jugent inadmissible que son nom puisse apparaître sur les frontons des lycées. Voici l'opinion de deux étudiants à SciencesPo Paris, Thibault Joannard-lardant et Marie Hubert.

N’enterrez pas Colbert !

05/10/2017 - 12:56
Il y une semaine le Conseil Représentatif des Associations Noires de France, en la personne de son directeur Louis-Georges Tin, proposait de prendre exemple sur les Etats-Unis et leur campagne contre les personnalités des Etats confédérés d’Amérique en débaptisant les écoles et les lycées portant le nom de Colbert, et en enlevant sa statue de devant l’Assemblée Nationale. Mais agir ainsi serait commettre une grave erreur de jugement.

Colbert, ministre de Louis XIV, a en effet élaboré la première version du Code noir, règlementant l’esclavage dans les colonies française, et fondé diverses compagnies commerciales qui développèrent l’asservissement des populations coloniales. Il semble alors logique de vouloir enlever ce nom esclavagiste du fronton de nos écoles et de le jeter au bas de l’histoire de France. Et pourtant, agir ainsi ce serait commettre une grave erreur.

Colbert, sa vie, son œuvre 

Rappelons d’abord que Colbert (1619-1683), contrôleur général des finances sous le règne de Louis XIV n’est pas seulement un esclavagiste assoiffé de richesses, mais aussi un fin gestionnaire, un ministre compétent et un acteur essentiel du développement économique français. Fils d’une famille de petite noblesse, il s’élève dans la société jusqu’à devenir un des principaux ministres du Roi Soleil. Là, il réorganise les forêts françaises pour mieux les protéger et mieux les exploiter, donnant naissance à une politique sylvicole exemplaire et à une marine française importante et indépendante des approvisionnements en bois étrangers. Il développe l’économie française qu’il industrialise grâce à la création de manufactures royales qui deviendront par exemple Saint-Gobain pour la création de glaces et Les Gobelins pour les tapisseries. Il est à l’origine de politiques de grands travaux comme le pavage et l’éclairage de Paris ou la création du Canal du Midi reliant l’Atlantique à la Méditerranée par Toulouse, soit un des plus grands chantiers du siècle. Il est aussi le protecteur des Arts et des Sciences à travers la création de l’Académie des sciences (1666), de l’Observatoire de Paris (1667) ou de l’Académie royale d’architecture (1671). Enfin, s’il encourage effectivement l’esclavage par la création de compagnies commerciales et du Code noir, notons tout du même qu’avant lui aucune législation n’existait sur le traitement des esclaves, permettant aux maîtres d’agir à leur guise en toutes circonstances. Ce recueil de textes eut au moins le mérite de légiférer sur la question en la réglementant, bien que qu’il le fît d’une manière horrible et brutale.

L’erreur de jugement 

Ainsi s’il nous fallait débaptiser les rues et les écoles portant le nom de Colbert à cause des actions de ce dernier, on débaptiserait rapidement toutes les rues et écoles de France. Qu’en serait-il en effet de Louis XIV qui était le roi de Colbert et a grandement contribué à l’expansion des colonies françaises ? Faudrait-il oublier Voltaire qui n’a jamais été très clair sur la question de l’esclavage ? Qu’en serait-il aussi de Jules Ferry qui a poussé la colonisation ? Ou s’arrêterait le phénomène ainsi débuté ? Jusqu’à ce que l’histoire française soit clouée au pilori et puis brûlée en place publique, car soyez sûr qu’aucun grand personnage n’est exempt de tares si nous le regardons depuis notre modernité.
Il apparaît en effet évident, comme le dit Gérald Bronner (sociologue), « que contraindre la mémoire du passé par les normes morales du présent est un processus qui invite non seulement à une lecture simpliste de la complexité de notre histoire commune, mais qui, une fois engagé, trouvera difficilement un terme ».

Ne débaptisons pas nos rues et nos écoles, ne brûlons pas notre histoire. Veillons simplement lorsque nous racontons celle-ci, à ne pas oublier les bons comme les mauvais côtés de nos figures et politiques nationales, et rappelons-nous que nos valeurs, aussi grandes soient-elles, ne s’imposaient pas comme naturelles il y a quelque siècle de cela.

Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.

Colbert : une contradiction républicaine ?

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10/10/2017 - 17:30
Jean Baptiste Colbert fut l'un des principaux ministres de Louis XIV. Il est connu pour avoir été le promoteur d'une politique économique interventionnisme et mercantilisme. Son nom mérite t-il d'être celui de nombreux lycées et collège de France ?

Laisser le nom de Colbert sur les frontons des lycées, c’est garantir le maintien et l’entretien de sa mémoire pour des années encore, ce qui est regrettable.

Un instigateur du Code Noir de l'esclavage

Rappelons que Colbert, bien que ministre fort dévoué à la couronne et certes pas dépourvu de jugeote en matière économique, a tout de même indirectement participé au développement de l’esclavage dans les Antilles. C’était en effet un des instigateurs du Code Noir, un édit du roi sur l’esclavagisme qui a concouru au développement de l’esclavage notamment dans les Antilles. Ce code noir, en plus de considérer l’esclavage comme une simple norme, autorisait la peine de mort et la mutilation pour les propriétaires d’esclaves. Sachant cela, il est quand même plus ardu d’accepter que son nom soit inscrit au dessus des valeurs républicaines « Liberté, égalité, fraternité ».

Un manque de cohérence pour la République 

Sans tomber dans la caricature, garder le nom de Colbert en tant que premier ministre d’un roi n’est pas très cohérent avec la ligne républicaine. Si les lycées publics, établissements de l’éducation secondaire, ont le nom d’un homme politique de l’ancien régime, comment articuler la mémoire et l'éducation républicaine ? En effet, la France est un pays attaché aux valeurs de la République comme le rappelle l’ancienne ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem en ces termes, prononcés à la suite des attentats : « Toutes les compétences et l’engagement de ce ministère sont mobilisés pour que vive, à l’École, l’esprit du 11 janvier, cet attachement profond aux valeurs républicaines et cette exigence de citoyenneté qui sont le cœur même de l’École de République. » .

En plus, rappelons que Louis XIV n’est pas n’importe quel roi : il représente l’absolutisme incarné ! C’est avec son règne que commence pour les historiens l’émergence de l’absolutisme : c’est lui qui a inventé la monarchie absolue de droit divin. La république française telle qu’elle a été créée s’est fondée sur des bases totalement opposées : la séparation des pouvoirs, le suffrage universel direct, le référendum, et tant d’autres avancées démocratiques. La république telle qu’elle a été fondée a en fait été construite par opposition à l’absolutisme, et continue de se construire contre l’absolutisme. Se remémorer Colbert c’est se souvenir de l’image d’un homme politique qui appartenait à un régime en opposition totale avec la République, et surtout c’est renier l’héritage des droits et devoirs acquis depuis la Révolution de 1789 !

D'autres candidats plus plausibles

Par ailleurs, il faut rappeler que l’invention qui fait la renommée de Colbert est le mercantilisme, ou plutôt le colbertisme, c’est à dire le principe selon lequel il faut dépenser plus que l'on achète. Certes, il s’agit une grande découverte et belle avancée pour la trésorerie de l’Etat, mais ce grand homme ne paraît pas remplir toutes les qualifications attendues à sa remémoration par l'inscription de son nom sur les frontons des lycées. Pourquoi le mérite t-il ? Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Pourquoi pas un nom de femme, pour changer un peu ? Les seuls noms féminins qui reviennent souvent sur les frontons des lycées sont ceux de Marie Curie et de Simone Veil. Mais où sont les lycées Louise Labé, Olympe de Gouges et j’en passe, des noms d’hommes et de femmes qui mériteraient bien plus que Colbert d’être retenus! Les candidates et candidats ne manquent pas. Si on va plus loin, dans une optique d’européanisation, pourquoi ne pas penser à s’ouvrir aux noms qui affirment notre engagement européen, tel que « Europe » ? Cette grande oubliée, princesse phénicienne et enlevée par Jupiter, qui a donné son nom au continent? Les possibilités de remplacement sont donc nombreuses. 

 

Alors oui, il faut assumer l’histoire, mais pas de cette manière. Nous ne devons pas occulter la mémoire des hommes de l'histoire de France qui nous font honte, mais ce n'est pas pour autant que le nom de ces hommes doit être affiché partout. Débaptiser les lycées ne serait pas une preuve de faiblesse, une preuve de l’incapacité à affronter le passé et ses hommes : non, ce serait au contraire une première étape et montrer l’état d’esprit du jour, de manifester l’engagement constant de la France pour ses valeurs et son idéal de justice et de liberté. Débaptiser les lycées, c’est montrer l’importance de la mémoire et des symboles. 

Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.

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