La situation politique en Pologne
Vers la fin de la démocratie libérale?
En mai 2015, le candidat du parti conservateur Droit et Justice (PiS), Andrzej Duda, a remporté un succès spectaculaire à l’élection présidentielle. Le deuxième plus grand parti de la scène politique polonaise a commencé à reprendre le pouvoir en Pologne, après avoir constitué pendant 8 ans une opposition très forte et agressive au gouvernement des libéraux (Plate-forme civique, PO) en coalition avec le Parti paysan polonais (PSL). A la fin du mois d’octobre, le PiS a définitivement dominé la scène politique en Pologne, en obtenant presque 40% des voix aux élections parlementaires (avec un taux d’abstention de 50% !). Il est ainsi devenu le premier parti politique en Pologne à gagner la majorité absolue des sièges après 1989. Le parti, à part des postulats très conservateurs, tels que la délégalisation absolue de l’avortement, a adopté un programme économique de gauche particulièrement populiste. Mais après ces élections, il s’est très rapidement avéré que le parti, constituant la plus grande formation de droite, va profiter de cette domination de la vie publique pour mener des réformes radicales. Et,malheureusement, ces réformes ne sont pas toujours favorables.
Un gouvernement suscitant la controverse et restant indifférent face aux inquiétudes de la société
Depuis plusieurs mois, dans les rues des plus grandes villes polonaises, de nombreuses manifestations, qui rassemblent chacune des dizaines de milliers de Polonais, sont régulièrement organisées par le Comité de défense de la démocratie (Komitet Obrony Demokracji, KOD). Cette organisation en elle-même n’est pas un parti politique, mais elle est proche des libéraux de la PO et du nouveau parti libéral. Ce dernier ’Moderne’ (Nowoczesna), a été fondé par Ryszard Petru en novembre 2015, après le déclenchement du conflit qui a opposé le gouvernement de Beata Szydlo (qui est de la même couleur politique que le Président Andrzej Duda) d’un côté, et le Tribunal constitutionnel. Néanmoins, malgré ces manifestations soutenues par la PO, tout comme par de nouveaux groupements politiques qui gagnent en popularité, le gouvernement du PiS ne cesse de réaliser ses objectifs qui nuisent à la fois au système démocratique, à l’économie de la Pologne, ainsi qu’aux relations de ce pays avec d’autres Etats et les organisations internationales.
La remise en cause du jeune régime démocratique
La Pologne post-communiste, jusqu’ici l’exemple de la transition démocratique très bien réussie, a commencé à s’éloigner des idéaux démocratiques de l’Europe occidentale. Cela s’exprime notamment par une grave crise constitutionnelle. Celle-ci s’est déclenchée après que le Président Andrzej Duda ait refusé de nommer trois juges élus au Tribunal constitutionnel par l’ancien Parlement (dominé par la PO), mais qu’il ait en revanche désigné trois autres juges. De plus, la nouvelle loi votée par les parlementaires du PiS limite fortement l’indépendance du Tribunal constitutionnel, l’un des plus importants garants de l’existence de l’Etat de droit. Désormais, il sera plus facile pour les parlementaires de révoquer les juges du Tribunal. Ce sera également une nouvelle compétence pour le Président et pour le Ministre de la Justice. En plus, les décisions du Tribunal devront être votées à la majorité qualifiée de 2/3 des voix au lieu de la majorité simple. Cette loi a été jugée non-conforme à la Constitution par le Tribunal constitutionnel, cependant la décision n’a pas été publiée par le gouvernement. La crise constitutionnelle qui actuellement concerne l’Etat polonais et qui ne cesse de s’aggraver est la source de nombreux doutes sur l’existence non seulement de la séparation des pouvoirs, mais de l’Etat de droit même en Pologne.
La manipulation de l’opinion publique par le gouvernement
De surcroît, le gouvernement du PiS semble ne plus respecter l’indépendance des médias. En résultat des changements des cadres des médias publics, beaucoup de journalistes ont été licenciés et remplacés par d’autres, apparemment plus favorables à la politique du gouvernement. Les médias publics polonais ont adopté un discours explicitement progouvernemental, notamment en négligeant les manifestations organisées par le KOD. Il est possible de constater que les médias publics recourent à une manipulation évidente qui consiste à montrer des images suggérant un nombre moins élevé de manifestants. En général, toute critique des actions menées par les hommes politiques issus du PiS est ignorée par les chaînes publiques. Ces dernières contribuent à l’historicisation des enjeux actuels propagée par le gouvernement. L’exemple le plus controversé est celui des accusations de Lech Walesa. L’ancien chef du mouvement de l’opposition Solidarnosc et premier président élu au suffrage universel après 1989 a été accusé de coopération avec le service secret du régime communiste. Beaucoup estiment que ces accusations, fondées sur des archives qui n’ont pas encore été analysées par des experts, sont utilisées par le gouvernement et par les médias pour détourner l’attention de l’opinion publique des problèmes liés à la grave crise politique actuelle.
La détérioration radicale de l’image de la Pologne sur la scène internationale
Malheureusement, le régime politique du parti conservateur change aussi l’image de la Pologne au niveau international. L’Etat polonais était considéré depuis la transition démocratique comme un leader régional en plein développement politique, social et économique. Il avait des aspirations de devenir un membre important de la communauté politique (UE) et militaire (OTAN) occidentale. Néanmoins, après les dernières élections parlementaires, le gouvernement polonais ne laisse aucun doute sur l’adoption d’une ligne politique souverainiste et eurosceptique. Ainsi, il est désormais classé dans la même catégorie que les régimes controversés de Victor Orban en Hongrie et Robert Fico en Slovaquie, notamment dans le contexte d’une très forte opposition de tous ces Etats à l’hébergement des migrants provenant du Moyen-Orient. Ce qui nuit encore plus à la réputation de la Pologne sur la scène politique internationale, ce sont les procédures lancées par des organisations internationales préoccupées par les changements radicaux dans ce pays. La Pologne est devenue le premier Etat dans lequel la Commission Européenne a lancé la procédure de sauvegarde de l’Etat de droit. En même temps, le Conseil Européen, suite à une demande du Ministre des Affaires Etrangères polonais, Witold Waszczykowski, a envoyé à Varsovie la Commission de Venise, son organe consultatif composé d’experts en droit constitutionnel. Ces derniers, après avoir examiné la crise constitutionnelle polonaise, ont formulé leur décision dans laquelle ils ont appelé le gouvernement à respecter les décisions du Tribunal Constitutionnel.
Cependant, le parti au pouvoir néglige les inquiétudes et les opinions des différents organes internationaux. Que ce soient des réactions négatives de la part de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe ou bien d’une partie majeure de la presse occidentale, on ignore le fait que la situation politique en Pologne provoque des inquiétudes. La remise en cause des valeurs constitutionnelles, la limitation de l’indépendance des médias, l’éloignement des idéaux démocratiques occidentaux font que le caractère du régime politique du PiS est très bouleversant. S’approche-t-on de la fin de la démocratie en Pologne post-communiste ?
Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.
A la recherche d'un coupable perdu
Octobre 2015. Avant les élections, la Plateforme Civique a fait du Tribunal Constitutionnel une des ses principales cibles afin de maintenir au moins un peu de pouvoir dans une Pologne réformée par PiS, et cela dans l'espoir que la nomination des cinq juges va se faire sans échos. Néanmoins, ce parti a eu le droit d’en nominer que trois et les deux prochains étaient censés être choisis par le nouveau parlement (parlement post élections). Ainsi, Plateforme Civique, ayant d’un côté peur de la perte dans des élections et d’un autre côté sachant que l’influence dans le Tribunal Constitutionnel vaut la peine, a pu s’engager dans la préparation d’une nouvelle loi permettant à ce parti de changer l’équipe des juges. Néanmoins, en décrivant le conflit dans le Tribunal Constitutionnel, la plupart des journalistes et des personnes publiques se concentrent sur le fait que c’est la majorité de PiS qui a choisit les juges qu’elle n’avait pas le droit de choisir. Le deuxième point qui crée la controverse dans l’opinion publique c’est bien évidemment le court temps de choix des juges, à tel point que les députés n’ont pas eu assez de temps pour donner leur opinion sur les candidats. Quand bien même, le fait le plus important ce sont des personnes choisies par le parlement de PiS. Il est bien possible de rencontrer les problèmes. Pour en dire un exemple, le manque d’accord quant aux verdicts des juges du tribunal en raison de la politisation des personnes publiques questionne même la souverainteté de l’opinion publique.
Néanmoins, il faut souligner que la possibilité de choisir les juges du Tribunal Constitutionnel résidant dans les compétences de la Chambre Basse se traduit par le fait que la majorité parlementaire possède ainsi une partie d’influence politique sur les résolutions et décisions du Tribunal Constitutionnel. Et cette « force de pression » n’est pas une surexploitation des compétences mais une utilisation légitime, vu que les juges du Tribunal Constitutionnel sont, depuis l’acceptation de la Constitution Polonaise de 1992, choisis par les députés qui agissent dans le cadre de leur idéologie et leurs buts politiques.
Les acteurs du conflit à l’épreuve de la décision de la Commission de Venise
Le conflit autour du Tribunal Constitutionnel est basé sur deux grandes forces politiques en Pologne qui ont mené, toutes les deux, à un cercle vicieux dans ce pays d’Europe Centrale, en engageant aussi la scène européenne. Ce conflit a incité d’autres partis à repenser la crise;et c’est pourquoi, par exemple le parti d’opposition Kukiz 15’ veut créer un compromis entre ces deux camps. Et c’est la décision de la Commission de Venise aussi. Cette recommandation semble être contre la volonté d’un journal quotidien « Gazeta Wyborcza » qui comptait sur le soutien de ses thèses par une démocratie écrasante et une dictature arrivante. La décision de la Commission de Venise ne constate pas que le conflit paralysant le Tribunal Constitutionnel a été lancé par ce dictateur avide de pouvoir s’appelant Kaczynski. Elle rend cupable le pouvoir actuel et le pouvoir d’avant qui a commencé cette querelle politique. De plus, la Commission n’affirme pas une obligation d’exécuter le jugement du Tribunal et d’accepter la nomination des trois juges de l’autre cadence parlementaire, mais incite plutôt à trouver le compromis. Ce compromis semble être aussi voulu et cherché par la société polonaise. Néanmoins il s’avère que ni la Plateforme Civique, ni Nowoczesna, ni le KOD n’ont pour but de chercher un compromis et de trouver la réconciliation. Car le moteur de leur popularité c’est ce discours « anti Pis à n’importe quel prix ». Bien sûr la faute est des deux côtés. Le PiS au lieu de se tenir à son discours de décommunisation, repolonisation et libéralisation de la Pologne de l’ancienne « Targowica » devrait reconnaître ses fautes, refaire sa politique et ne pas diriger le peuple polonais vers une rupture et une situation sans issue.
Un excès de lexique émotionnel dans les commentaires de la situation actuelle en Pologne
Ce qui semble aussi être un acteur dans le conflit actuel, c’est le vocabulaire et le lexique en général utilisés par l’opposition. Nous sommes des témoins d’une hyperbolisation de l’expression comme en témoignent « la dictature de Kaczynski », « l’effondrement de la démocratie », « cathofascisme », « le manque de la liberté d’expression ». L’opinion publique et le débat publique n’étaient pas non plus exemplaires, mais la crise histérique des derniers temps semble dépasser les limites. Cette hyperbolisation des notions de l’opposition qui semble être de plus en plus éloignée du pouvoir essaie de se tenir dans la « force d’influence ». Encore avant l’élection du président actuel Andrzej Duda, l’opposition et ses partisans augmentaient autour des émotions et protestaient de plus en plus fortement. Les expressions considérant Duda en tant que « la marionnette de Kaczynski », « un homme de nulle part » ou « un chrétien fou voulant instaurer la théocratie» étaient assez fréquentes. Quand Andrzej Duda a gagné les élections, l’opinion publique liée à l’établissement de PO a très mal accueilli le pouvoir de Duda. Ce mécontentement s’est davantage aggravé à la suite de la victoire de PiS. Après leur victoire, l’élite éloignée du pouvoir a décidé de déprécier leur position dans l’échantillon des partisans au moins libéraux. Car même si le PO ne pouvait pas maintenir son pouvoir et éviter les réformes du parti PiS, il veut au moins délégitimer leur position et leur pouvoir dans la société, qu’il nomme « disciples de PO » ou mieux « les adversaires de PiS ». Ainsi, le problème de la scène politique actuelle consiste en une lutte entre les Polonais « progressistes », nommés avec mépris par les « conservateurs » en tant que les lemmings et d’un autre côté des « disciples obscurantistes de PiS », « les fidèles de père Rydzyk ». Néanmoins cette hyperinflation des notions n’est pas d’une influence positive non seulement sur la situation intérieure mais aussi sur la vision de la Pologne sur la scène internationale.
Une réconciliation ou une rupture plus profonde au sein de la société polonaise ?
Enfin, il faut se demander quelles sont les causes d’une montée en puissance de la droite, non seulement en Pologne mais en Europe de manière générale, analyser la situation avec un sang froid et repenser les valeurs sur lesquelles les hommes politiques, philosophes et civils ont basé leur société européenne. Pour les partisans de droite, le manque d’une voix conservatrice et le manque d’un pluralisme politique au sein de l’Union Européenne posent un problème central. Un discours libéral qui a vanté l’Europe actuelle semble déraciner l'opposition dans la politique. En Pologne, cette rupture entre le camp de droite et le camp libéral grandit les tensions entre les disciples de PiS et Po. C’est pourquoi il est essentiel pour les Polonais de repenser leur situation et de se diriger vers la rationalité. Les Polonais ont su combattre pour leur liberté pendant 123 ans depuis 1772, ils ont su faire face à l’occupant allemand pendant la Deuxième Guerre Mondiale et se libérer de la domination soviétique en 1989. Néanmoins, les événements actuels semblent démontrer que les Polonais ne savent pas profiter de cette liberté, et que la création d’une communauté cohérente n’est possible qu’en face d’un ennemi commun. Cette rupture au sein de la société est aussi causée par les différences idéologiques des Polonais. Bien que ces différences existent, les médias tentent de les amplifier et d’empêcher les deux camps de se réconcilier. Car les contrastes dans la politique font la politique – mais le problème actuel de la Pologne est un manque de rencontres et de contact entre les deux camps opposés.
Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.
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