Faut-il renforcer la coopération de l’Union Européenne en matière de défense ?

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En novembre 2017, 23 pays de l’UE signaient un pacte dans le but de relancer l’Europe de la Défense. Cette coopération militaire renforcée passerait par le développement d’armement et des opérations extérieures. Ce pacte concrétise le vieux projet de « coopération structurée permanente » et engendre des projets ambitieux comme la création d’un centre de crise européen, une formation en commun d’officier, et même une force d’intervention et une doctrine militaire. Dans un contexte de succession de crises, est-il justifié de renforcer cette coopération en matière de défense ? c’est la question à laquelle tentent de répondre Thibault Joannard-Lardant, étudiant à SciencesPo Paris, et Théo Brunet, étudiant universitaire à Paris.

L’Union Européenne n’a pas vocation à être militaire

05/01/2018 - 15:12
Alors qu’outre Atlantique les Etats-Unis ont élu Donald Trump comme Président avec une politique de remise en cause systématique des organisations multilatérales issues de la Seconde Guerre mondiale, certains membres de l’Union Européenne s’interrogent sur leur défense. Cette dernière passe en effet pour beaucoup par l’OTAN, et s’appuie de manière démesurée sur la garantie et la puissance des Etats-Unis. Si E. Macron et A. Merkel tentent de redonner vie à ce qui apparaît comme une deuxième version de la Communauté Européenne de Défense, faut-il espérer l’aboutissement de cette tentative? Faut-il doter l’Union Européenne d’un axe militaire?

Non, ce n’est pas en divisant le bloc occidental que celui-ci pourra affirmer ses valeurs et ses principes tout en se protégeant. Par ailleurs, l’Union Européenne si elle est cruciale pour ce bloc, n’a pas pour autant vocation à devenir une institution militarisée et serait d’ailleurs probablement inefficace dans ce rôle. La défense européenne passe donc pas d’autres moyens.

L’union fait la force

A l’heure du doute et de l’ébranlement des certitudes, le monde occidental ne peut se permettre de se diviser. Il a besoin de rester uni pour se faire entendre et défendre ce en quoi il croit. Si les mouvements régionalistes représentent clairement une force centrifuge et un affaiblissement des Etats démocrates, la plupart des observateurs semblent aveugles face à la nature comparable du mouvement militaire européen. Le rétrécissement des alliances et des organisations militaires occidentales ne peut aboutir à un renforcement de ses composantes. Au contraire, plus les pays se replient et plus ils s’affaiblissent. Si les pays européens devaient créer leur propre alliance, soit ils resteraient dans l’OTAN et formeraient alors une organisation qui ne pourrait guère être qu’un doublon inefficace et source de confusion, soit ils sortiraient de l’Organisation créant une division entre pays occidentaux qui ne pourrait qu’affaiblir ces-derniers. L’Europe a besoin des Etats-Unis et du Canada. Nous sommes les deux facettes d’un même monde et si quelques sujets nous divisent, ceux qui nous rapprochent sont bien plus nombreux et cruciaux. Il peut arriver qu’une conjecture politique nous éloigne périodiquement, telle l’élection de Donald Trump, mais d’un point de vu structurel, nous sommes inextricablement liés. Le monde occidental n’a pas tourné le dos à la France lorsque De Gaulle s’est retrouvé à sa tête avec une politique d’indépendance, il a continué de lui faire confiance et a attendu qu’elle revienne vers lui. Voici le chemin qu’il faut aujourd’hui suivre. Enfin, l’ambition de créer sa propre alliance militaire pourrait être justifiée si l’OTAN était en crise, mais ce n’est pas le cas. L’Otan est actuellement une organisation militaire extrêmement efficace et compétente, appliquant et défendant nos idéaux. Tous les membres y disposent d’une voix égale lors des votes, et tous y sont respectés. C’est par ailleurs la 1ère alliance militaire de la planète, imposant ses structures et ses stratégies aux armées du reste du monde. En faire partie est un privilège et non une tare.

Une Union pacifique et non guerrière

L’Union Européenne a été créée pour mettre fin à la guerre en Europe, pas pour en mener une contre ses voisins. En faire une union militaire serait aller à l’encontre de son esprit et contre les valeurs qu’elle défend. Cette organisation se fait aujourd’hui le héraut de la démocratie, de la raison et de la civilisation occidentale. Elle règle ses problèmes par la discussion et les négociations. Y ajouter une composante militaire risquerait de brouiller le message qu’elle souhaite transmettre et nuire à son image. Par ailleurs, quel besoin à l’Union Européenne d’avoir une défense commune? Les principaux périls qui la menacent sont avant tout économique et écologique. Dans ces deux domaines, la réponse militaire est inutile. Il y également un problème d’immigration, de flux humain. Mais ne serait-ce pas plutôt un travail policier et humanitaire que celui qui consiste à démanteler les réseaux de passeurs, prendre soins des immigrés et limiter l’exode, plutôt qu’un travail militaire Il y a aussi sans doute une menace numérique et informatique, mais ne peut-on pas elle aussi la résoudre autrement qu’avec l’armée? Sans doute serait-il possible de développer un mécanisme de coopération dans le domaine informatique ainsi qu’un réseau d’écoles pour former des informaticiens spécialisés dans la sécurité informatique. Enfin, pour ce qui est des menaces conventionnelles, en existe-t-il encore? Est-il vraiment possible qu’on conflit ouvert se déclare avec la Chine ou la Russie? C’est peu probable. Mais si malgré tout les Etats européens étaient réellement inquiets pour leur sécurité, pourquoi ne pas commencer par augmenter leurs dépenses militaires? Seuls trois Etats européens dépense 2% de leur PIB pour leur défense. S’ils se sentaient vraiment en danger, si le besoin d’une armée forte se faisait véritablement sentir, ils seraient bien plus nombreux à dépenser autant.

Une défense bureaucratique?

Mais si malgré tout, nos pays avaient besoin d’une défense commune, l’Union Européenne serait-elle le bon endroit pour le faire? L’UE est une organisation profondément civile. Ses champs de compétences sont avant tout économiques et règlementaires. L’imagine-t-on vraiment coordonner efficacement 27 pays dans des opérations extérieures communes? Non, pas au vu de son inertie et de ses difficultés à prendre des décisions cruciales rapidement. Lorsque plusieurs mois voire plusieurs années lui sont nécessaires pour ne serait-ce qu’essayer de faire interdire un pesticide probablement cancérigène, il est inimaginable de lui confier la responsabilité de décider d’une intervention militaire. Pour coordonner la défense d’un grand nombre de pays tout en restant efficace, l’OTAN reste encore la meilleure solution. Entre autres parce qu’elle repose sur un système solaire: un soleil, les Etats-Unis, capable d’imposer des décisions aux autres planètes, les Etat alliés. A l’inverse, l’Union Européenne n’a pas de soleil capable de mettre en branle efficacement tout son système et doit donc opérer doucement en prenant le temps de convaincre tout le monde. Si ce système peut faire sa force sur le plan civil, il est inefficace sur le plan militaire.

Les Etats-Unis inquiètent et déçoivent aujourd’hui beaucoup l’Europe. Ils restent cependant très proches de nous et leur tourner le dos serait une erreur dont nous souffririons tous des conséquences. Mais si la question de la défense européenne inquiétait véritablement les pays européens, il serait sage de d’abord commencer par augmenter nos budgets militaires avant de songer à une nouvelle alliance. Montrer plus de solidarité envers la France comme vient de le faire l’Italie, pourrait aussi être une option pour renforcer la coopération européenne. C’est un effet ce pays, seul depuis le départ du Royaume-Uni, qui assume la responsabilité d’intervenir hors des frontières de l’Europe pour assurer la stabilité et la paix. L’Union Européenne traverse aujourd’hui une crise de légitimité, une crise de sens. Ce n’est pas en fuyant vers le domaine militaire qu’elle redonnera foi en elle, pas plus qu’elle ne réussira à se réinventer.

 

Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.

Une coopération renforcée des Etats membres de l'UE en matière de défense : une réalité

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12/02/2018 - 19:29
A Trop, Le 13 novembre 2017, 23 membres de l’Union Européenne ont signés un accord de principe sur une coopération renforcée des états membres (CSP, coopération structurée permanente) en termes de politique de Défense. Cet accord montre que l’Europe place au centre de ses préoccupations le concept d’Europe de la Défense.

Ce revirement des institutions n’est pas une décision volontaire mais est une réponse à ce qui s’apparente être des menaces existentielles pour les Etats membres, que ce soit le terrorisme pour les pays de l’Ouest ou bien la politique agressive des Russes à l’Est (et dans une moindre mesure l’afflux de migrants pour les pays du Sud). A cela s’ajoute un certain scepticisme de Donald Trump vis à vis de l’Europe, alors que les Etats-Unis sont les leaders de l’Otan, l’organisation chargés de défendre les frontières de la plupart des états européens, avec un certain basculement vers la zone Pacifique, déjà entamé par Barack Obama. Dans ce contexte, quel est l'apport de cet accord (incohérence Quel accord ? si c’est de l’OTAN qu’il parle c’est une organisation, si c’est du traité de l’Atlantique Nord alors il faut qu’il le mentionne au moins une fois dans son texte) pour une Europe de la Défense ? En quoi la coopération européenne en termes de politique de Défense se doit être renforcée ? Quel rôle l’Allemagne et la France peuvent avoir dans cette construction européenne de la Défense ?

La coopération structurée permanente, une avancée à « petit pas ».

L’idée d’une Europe de la Défense n’est pas nouvelle. On se rappelle la CED (Communauté Européenne de Défense) de 1954 qui visait à créer une force militaire commune entre 6 pays, les mêmes que ceux du traité de Rome en 1957, sous le contrôle d’une institution européenne.
Mais ce fût un échec en raison de la réticence du Parlement français. Cependant, face au retour de la guerre sur le continent européen en 1991 en ex-Yougoslavie, les institutions européennes réagissent avec la création des missions de Petersberg (en 1992) qui définissent le cadre dans lequel l’Union Européenne peuvent intervenir. Le traité de Lisbonne de 2005 va confirmer ce retour d’une Europe de la Défense (avec les articles 46 et 47 sur une clause de défense mutuelle et de solidarité en cas d’agression). Mais la signature de l’accord de novembre a permis trois avancées majeures. Tout d’abord, la mise en place d’un Etat-Major de conduite opérationnelle (qui se restreint aux missions de formation), la création d’un fond de Défense commun, et une coopération accrue sur des programmes d’équipements entre les états européens qui le souhaitent. La mise en place de cette coopération est lente mais semble s’accélérer depuis la crise en Ukraine et les attentats : les Etats membres prennent conscience de la nécessité de bâtir un outil de Défense commun car ils n’ont plus les moyens d’entretenir de façons indépendante un outil militaire crédible et efficace.

Une coopération renforcée, une nécessitée

En 2017, aucune armée européenne n’est capable de monter une opération militaire qui s’inscrit dans la durée de façon indépendante. Le cas de l’intervention française au Mali en janvier 2013 en est le parfait exemple. Les troupes françaises n’ont pu tenir dans la durée leur engagement que grâce à une aide extérieur au niveau du transport aérien pour assurer un pont logistique entre la métropole et le théâtre d’opérations, avec une aide Britannique, Belge et Danoise. Une coopération renforcée au niveau de certaine composante permettrait de disposer d’un outil plus efficace et moins coûteux, les équipements militaires coûtant de plus en plus en cher au vu de leurs sophistications croissantes. Acquérir un matériel commun permet de mutualiser les coûts de fonctionnement et de maintenance et d’acquérir des savoir-faire communs en vue d’un déploiement au sein d’une mission au profit de l’Union européenne par exemple. Cette mutualisation existe déjà entre les Pays-Bas et la Belgique qui se relaient pour assurer la mission de police du ciel sur leurs territoires respectifs ou au niveau de leurs marines de guerre. La France et l’Allemagne ont ainsi en projet une base commune à Evreux pour leurs nouveaux avions de transports. On peut aussi citer la Belgique, qui a commandé les mêmes véhicules blindés que la France. L’Europe doit se doter d’une politique commune pour aller plus loin que de simples missions de formations (EUTM Mali, RCA). Il faut une coopération renforcée entre Etats qui partagent déjà des outils et qui ont des intérêts communs.

La France et l’Allemagne, deux visions de l’Europe de la Défense

La France et l'Allemagne, en raison de leurs traditions militaires distinctes, ont deux visions différentes de leur politique de défense au niveau nationale, ce qui a forcément un impact sur leur vision de l'Europe de la Défense. En France, le pouvoir bénéficie d’une grande autonomie concernant la conduite d'opérations militaires. Ainsi, une intervention peut être menée dans l'urgence avec l'accord du Parlement seulement dans un second temps, comme ce fut le cas avec l’Opération Serval en janvier 2013. En Allemagne, du fait de son passé, les politiques sont réticents au maintien et à l'usage de la force armée dans des conflits de haute intensité, la participation au sein de l'ISAF (Force internationale d’assistance et de sécurité) étant une exception. De ce fait, l'aval du Parlement est obligatoire si l’armée allemande souhaite lancer une opération militaire, et c’est d’ailleurs le cas dans la plupart des pays européens. C’est pourquoi la France est favorable à une Europe de la Défense qui serait limitée aux pays qui ont réellement les moyens financiers de mener des opérations, et elle prône un développement de coopération bilatérale ; alors que l'Allemagne a une approche plus fédéraliste qui se baserait sur une mise en commun des moyens militaires. Au vu de l'accord de novembre 2017, c'est plutôt dans le sens de la vision allemande que la politique de Défense européenne se structure, avec notamment l’aide de ce fond de Défense européen. Les pays qui veulent en profiter doivent prendre des mesures concrètes concernant l'engagement de leurs troupes au profit de l'Europe.

Le renforcement de la coopération européenne en matière de défense, face aux menaces et aux coûts grandissant de développement de nouveaux équipements, est essentiel. L'Europe est donc dans la bonne voie avec la CSP, mais elle doit se poser des bases claires tant au niveau des moyens et des objectifs qui sont visés par cette coopération naissante. La France se doit de tenir le rôle de pilier de cette nouvelle Europe de la Défense au vu de ses moyens militaires et de son expérience et du départ du Royaume-Uni de l'Union. Le développement du matériel militaire commun doit devenir une norme malgré les difficultés de la mise en place de tels systèmes, comme avec le programme Eurofighter Typhoon, A400M, ainsi qu’un renforcement des échanges en termes de formation entre les états européens pour ainsi créer dans un avenir plus ou moins lointain une force européennes crédible capable de peser sur la scène internationale.

Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.

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Une coopération renforcée des Etats membres de l'UE en matière de défense : une réalité
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Thibault: bel article, même si j'ai des points de divergence quand au constat de réussite de l'OTAN sur lequel tu te bases pour fonder ton raisonnement. Ainsi, on ne peut nier l'incapacité de l'OTAN à mener une campagne de long terme en Afghanistan ou en Irak (en 1990-1991): l'opération de 2001 a connu beaucoup de cafouillages (absence de soutien aérien à certaines opérations au sol, manque de coordination des offensives, laissant échapper des Talibans au Pakistan). L'opération de 1990 a connu plus de pertes de tirs amis que de tirs irakiens...
Par ailleurs, si l'OTAN est d'abord un système d'alliance défensif, l'Europe de la Défense pourrait être davantage un incubateur de recherche, afin de réduire les coûts de développement, optimiser les 2%, ce qui n'existe pas au niveau de l'OTAN (les USA, la France et l'Allemagne ayant chacun leurs blindés). En ce sens, cette coopération pourrait donner à l'UE les moyens de ses ambitions militaires sans entrer en concurrence avec l'OTAN.

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Mathieu, on peut nier la capacité de l'OTAN à gagner une campagne sur le long terme, mais pas à la mener. Il me semble que l'OTAN est aujourd'hui la seule coalition capable de s'engager aussi longtemps et de manière aussi importante dans un combat. Les résultats ne sont pas toujours brillants, loin de là, mais l'Alliance reste incontestablement la 1ère puissance militaire au monde. Elle a par ailleurs connu quelques modes succès, par exemple dans des opérations de lutte contre la piraterie. Mais à mon sens sa plus grande réussite, un peu écornée ces derniers temps, réside dans le fait que l'Organisation n'a pas besoin d'intervenir physiquement pour obtenir ce qu'elle veut, il lui suffit de menacer.

L'Europe de la Défense pourrait bien entendu se développer dans le sens d'un incubateur de recherche, mais j'imaginais une thèse extrême dans mon argumentation afin de mieux en montrer toutes les conséquences. Mais bon, un incubateur de recherche ne serai-il le 1er pas vers une alliance

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