Erasmus : l’intouchable programme d’échange ?
La nécessaire réforme d’Erasmus
Le programme Erasmus a été lancé en 1987 et consiste à aider les jeunes européens à étudier un semestre, à l’étranger, au sein d’une université européenne. Il facilite également la mobilité des enseignants, des doctorants et des apprentis en Europe. Ce programme est globalement un succès quantitatif, puisqu’il a permis, en 30 ans, à plus 5 millions de personnes d’acquérir une expérience de mobilité grâce aux fonds européens. La majorité des bénéficiaires du programme Erasmus, rebaptisé Erasmus+ en 2014, reste néanmoins les étudiants avec environ 3,3 millions de mobilités étudiantes recensées depuis 1987. L’objectif de ce programme était de renforcer le sentiment européen des citoyens du Vieux Continent. Pour cela, le programme Erasmus devait faciliter l’apprentissage des langues et les échanges culturels.
Un programme salué
L’année anniversaire de ce programme a donc été l’occasion d’esquisser un bilan. Force est de constater que les leaders politiques, de Macron à Merkel, en passant par Schulz et Mogherini, ainsi que les médias, les étudiants et les enseignants furent tous unanimes quant à Erasmus+. Pour eux, l’intérêt du programme n’est plus à démontrer aux vues du succès indéniable de ce dernier, prenant pour preuve le lancement parallèle en 2016 d’un programme Erasmus à destination des apprentis. D’ailleurs, les chiffres officiels tendent à souligner ce succès, avec par exemple un nombre croissant d’étudiants en échange en Europe, ou encore l’étonnant sondage de la Commission Européenne indiquant que 27 % des bénéficiaires du programme y ont rencontré leur conjoint.
Des dérives évidentes
Néanmoins, la vie de ce programme n’est pas si rose, puisqu’il semble, en effet, qu’Erasmus+ a perdu progressivement de vue le sens du projet originel. Le programme devait par exemple favoriser l’apprentissage des langues européennes, conformément à la politique linguistique de l’UE qui est censée veiller à garantir la reconnaissance symbolique de chaque langue parlée dans l’union. Dans les faits, l’enseignement et la pratique de l’anglais sont devenus hégémoniques dans tous les pays n’ayant ni le français, ni l’allemand, ni l’espagnol comme langues officielles. Autre illustration de cette lente dérive : le faible niveau d’interactions entre étudiants locaux et en mobilité, que certains chercheurs (N-B : Papatsiba, 2003 ; Dervin, 2008d ; Ballatore, 2010) nomment le « ghetto Erasmus ».
La réalité de ce « ghetto Erasmus » évolue bien sûr selon les villes et les contextes, mais il semble dans la majorité des cas épouser les traits d’une sociabilité exclusivement festive, complètement déconnectée des réalités locales. Dans de nombreuses capitales européennes, le phénomène Erasmus est ainsi de plus en plus associé à des business et des modèles de consommation qui entretiennent cette ségrégation particulière, voire entrent parfois en conflit avec les populations locales (c’est le cas à Barcelone ou à Budapest…). En quelques années, le programme phare de la construction européenne est progressivement devenu pour beaucoup un synonyme d’acculturation par le bas, sur un schéma principalement consumériste.
Un nouvel Erasmus pour une véritable société européenne
Afin de lutter contre ces dérives, il semble important de réaffirmer la vocation du programme : fabriquer par le bas l’Europe des citoyens tout en protégeant par le haut l’interculturalité. Ce nouvel Erasmus sera alors le ciment d’une nouvelle Europe, plus unie. Il participera à l’émergence d’une société européenne, essentielle à la sauvegarde du projet européen.
Premièrement, il pourrait être utile de réguler davantage l’allocation des bourses Erasmus+, afin que celle-ci devienne plus juste et équitable, et continue à favoriser l’intégration locale. Si les fonds européens doivent pouvoir permettre encore et toujours à davantage d’étudiants de partir en mobilité, en les aidant à financer leur logement par exemple, cela n’exclut pas tout contrôle. Considérant que l’enveloppe globale allouée par les Etats-membres à Erasmus+ n’est pas infinie, le durcissement des conditions d’octroi des aides européennes faciliterait alors la démocratisation croissante du programme.
Deuxièmement, l’acquisition minimale, en fin de mobilité, de la langue du pays d’accueil est un objectif réaliste conforme au projet originel. En effet, si l’apprentissage de l’anglais est essentiel puisqu’il facilite la communication et permet la tenue de cours rassemblant des étudiants provenant de toute l’Europe, voire du monde entier, il ne peut se faire au détriment de celui de la langue locale. En effet, l’apprentissage d’une langue, même à un faible niveau, demeure l’atout principal de quiconque souhaitant s’intégrer à la vie locale. Il s’agit aussi d’un atout pour l’insertion sur le marché du travail. Ainsi, afin de remédier à la déconnection entre étudiants Erasmus et étudiants locaux liée aussi à la barrière de la langue, les institutions européennes pourraient exiger de chaque étudiant l’acquisition d’un niveau minimum (A1 voire A2) dans la langue du pays d’accueil à l’issue de sa mobilité. D’ailleurs, à l’heure du Brexit, n’est-il pas plus logique, comme le souhaitait Umberto Eco, que le « langage de l’Europe » devienne véritablement la « traduction ». Cela participerait au rétablissement de l’interculturalité.
Enfin, il est fondamental de repenser les partenariats entre les universités ainsi que l’organisation du programme par celles-ci. Les universités d’accueils doivent autant que faire se peut faciliter l’interaction de ses étudiants avec les étudiants Erasmus. Si cela passe par le maintien de l’aide apportée aux associations étudiantes, il s’agirait aussi d’instaurer des modules supplémentaires centrés sur la « connaissance du pays », et complétés par des rencontres favorisées avec des concitoyens installés de longue date dans le pays d’accueil. L’essentiel serait alors que les « Erasmus » en apprennent davantage tant sur l’histoire, que sur l’organisation politique et sociale, que sur la richesse culturelle et le mode de vie de ce pays. De telles initiatives existent déjà dans certaines universités, il ne reste plus qu’à les renforcer et à les pérenniser.
A l’heure où le projet européen est contesté, et s’approche d’une importante refondation, il serait temps de réformer le projet Erasmus, tant pour rendre plus concrète la citoyenneté européenne, que pour rapprocher toutes les parties de l’Europe en favorisant l’émergence d’une véritable société européenne.
Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.
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