La politique étrangère turque, rupture ou continuité ?
Le changement d'axe de la politique étrangère turque
Depuis l’établissement de la république de Turquie, sous la direction du chef fondateur Mustafa Kemal Atatürk, la politique étrangère de la Turquie est fondée sur deux paradigmes fondamentaux : « statu-quoisme » et occidentalisation. Le choix d’une politique d’équilibre a permis la mise en œuvre de ces deux paradigmes.
La Turquie, l'historique allié de l'Occident
Le modèle d'occidentalisation d'Atatürk a fonctionné avec succès pendant la guerre froide, la Turquie étant alors un pays très important pour le monde occidental en termes de sécurité. Cependant, la fin de la guerre froide a changé les relations de la Turquie avec le monde occidental. Le rôle géopolitique et militaire de la Turquie n'était plus si important avec la fin de la menace soviétique. La fin de la guerre froide a également entraîné la Turquie vers une recherche d'une nouvelle identité pour sa politique étrangère.
Bien que la Turquie ait jadis eu l'espoir de devenir membre de l'Union européenne (UE), l'idée semble plutôt absurde en ce moment. Le peuple turc, contrairement aux élites turques, a commencé à rejeter l'idée d'occidentalisation et la longueur du processus a suscité des sentiments anti-occidentaux encore plus forts. D’une part, il y a l’attente à la porte de l'UE, avec plus de 50 ans pour devenir membre, et d’autre part, des relations largement détériorées avec les États-Unis qui se poursuivent depuis de nombreuses années. Voilà la véritable raison du rejet de l’idée d'occidentalisation.
Un rapprochement récent avec la Russie
Dans une position géopolitique stratégique, tout éloignement du système transatlantique signifie un changement d’axe. Les relations avec la Russie ont en parallèle progressé. Outre la Russie, les relations avec une Asie qui se lève contre l'Occident connaissent également de sérieux développements, surtout avec la Chine et l’Inde. De plus, les relations se développent avec l'Afrique et les pays MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), ce qui est totalement inédit dans l'ère républicaine.
Ces derniers mois, le développement rapide des relations russo-turques s’est davantage fait sentir. En plus d'élargir leur coopération en Syrie, les deux grands États approfondissent leurs relations dans les organisations commerciales, économiques et énergétiques. Dans ce processus, la réalisation du projet de pipeline appelé « TurkStream » a une place particulière (N-B: Turkish Stream ou TurkStream est un projet de gazoduc allant de la Russie à la Turquie à travers la Mer Noire). Bientôt, la Turquie va devenir un pays de transit où passeront les principales routes mondiales de l'énergie. Ce projet ne se limite pas à un problème d'énergie. Il pourrait avoir un impact sérieux sur la sécurité énergétique de l'Europe et même des effets militaires. La sécurisation de ce projet, en effet, implique aussi un développement des relations militaires entre la Turquie et la Russie. D’ailleurs la Turquie, bien que membre de l'OTAN, achète de nouvelles armes (système de défense aérienne S-400) à la Russie, pourtant considérée comme le principal adversaire de cette organisation. La Russie ne souhaite pas entraver les intérêts d'Ankara en Syrie. La Turquie, à son tour, renonce à prendre position contre l'expansion de l'influence de la Russie au Moyen-Orient.
Par conséquent, la convergence Russie-Turquie se poursuivra certainement. Ces deux pays peuvent atteindre un succès considérable en combinant une géographie géopolitique étendue. Pour les Etats-Unis, au contraire, ce rapprochement, ou plutôt cette coopération est dangereuse. Ainsi, les Américains risquent de devoir modifier leurs plans, surtout s’ils souhaitent pouvoir s’interposer entre Ankara et Moscou.
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