L’amnistie du Président Václav Klaus : une haute trahison ?
L’amnistie, dérision de la République
En proclamant son amnistie partielle en janvier 2013, Václav Klaus a encore une fois confirmé sa volonté d’aller à contre-courant dans une grande partie de ses actions en tant que Président. Après avoir refusé la signature de plusieurs traités européens, défendu son point de vue paradoxal sur le réchauffement climatique ou attiré le regard des médias étrangers en volant le fameux stylo protocolaire lors de sa visite au Chili, il a fait un nouveau cadeau à ses concitoyens: libérer sept milliers de prisonniers redoutables. Était-ce pour que dans le contexte de l’approche de la fin de son mandat, son excentricité reste gravée pour toujours dans l’esprit des Tchèques ? Ou bien Klaus a-t-il profité des derniers instants de son pouvoir présidentiel pour libérer une partie de ses collègues économistes impliqués dans les affaires de corruption des années 1990 ?
Une amnistie qui décrédibilise la République
Certes, une partie des quelque 7000 libérés incluait des criminels non intentionnels ou des coupables d’accidents dus à l’inattention, comme le montre le cas de l’accident voiture de la chanteuse Dara Rolins, provoquant la mort d'un cycliste en 2010. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’une partie de l’amnistie partielle s’appliquait à des personnes incarcérées pour moins de dix ans et en négociation depuis plus de huit ans. En effet, cette partie de l’amnistie concernait beaucoup de cas suspects de crimes économiques et de corruption, longtemps ouverts et très médiatisés. Mentionnons par exemple le cas du juge Jiří Berka. Ce dernier avait été accusé d'avoir causé un dommage de 250 millions de couronnes tchèques en organisant de faux concours étatiques. Grâce à l’amnistie, il peut s’attendre à un "retour en grâce". Son procès étant ouvert depuis plus de huit ans, Berka sera libéré, retournera à sa fonction de juge avec un casier vierge et recevra une compensation pour la perte de son salaire pendant à huit ans, soit plusieurs millions de couronnes tchèques.
Si on y ajoute l’ampleur de l’amnistie et sa rapide mise en œuvre allant de pair avec sa mauvaise préparation, on ne peut qu’affirmer que Václav Klaus a commis un acte déshonorant la République. Un nombre non négligeable de citoyens ont en effet exprimé leur désaccord avec l’amnistie. Un sondage rapide fait par l’agence Median a montré que 82,2% des 617 sondés n’approuvaient pas l’amnistie.
Une accusation de haute trahison justifiée
Face à ce mécontentement général, ce n’était qu’une question de temps pour que l’amnistie de Václav Klaus soit juridiquement mise en question. Finalement, c’est Karel Janeček, un activiste anti-corruption représentant le Fonds de dotation pour la lutte contre la corruption, qui a proposé au Sénat d’examiner l’amnistie afin d’accuser Klaus de trahison. 17 organisations civiques et 73 000 signataires d’une pétition contre l’amnistie ont rejoint Janeček dans son initiative. Selon les signataires, le Président a agi de manière contraire à la Charte des droits et libertés, il a trahi son serment constitutionnel et donc la Constitution. En conséquence, l’accuser de trahison, autrement dit d’action contre la souveraineté et l’intégrité de la République, ainsi que contre l’ordre démocratique, est parfaitement justifié au regard des faits.
D’après Janeček, « le Président Klaus a accordé un pardon à toute une génération d’escrocs, ce qui a infligé un coup dur à la confiance des citoyens en l’État ». Cet argument figure explicitement dans l’accusation sénatoriale de Klaus. En effet, l’amnistie a « ébranlé la confiance générale des citoyens en l’État de droit et démocratique, dont la raison d’être repose, entre autres, sur le fait de décider dûment et justement via le pouvoir juridique de culpabilité et de punition pour infraction, ce qui a mis en question les valeurs fondamentales de l’État de droit et démocratique ». De plus, répétons que l’amnistie concerne une quantité remarquable de cas de criminalité économique avec des milliers de sinistrés et avec des dégâts se montant à plusieurs milliards de couronnes tchèques.
Avant de comparer l’éventuelle trahison de Klaus aux autres cas historiques, tel le procès Slánský, il ne faut pas oublier de définir ce dont on parle. Effectivement, la trahison pour laquelle était jugé Klaus n'est pas la trahison de la Patrie, mais la haute trahison de l’État. Dans le droit pénal tchèque, la trahison de la Patrie accuse chaque citoyen collaborant avec une puissance ou un acteur étranger de commettre une infraction, une attaque terroriste ou un sabotage contre sa Patrie. Or, la haute trahison de l’État est une infraction constitutionnelle qui peut engager seul le président qui agit contre la souveraineté et l'intégrité de la République, ou contre l'ordre démocratique. En raison de l'immunité spéciale du Président, accuser Klaus de haute trahison de l’État était la seule mesure juridique possible.
Le déplorable échec de la Cour Constitutionnelle
Après quelques semaines de débat, la Cour Constitutionnelle a décidé d’arrêter la poursuite pénale de Václav Klaus. Seule une juge constitutionnelle, Ivana Janů, a exprimé une opinion contraire. D’après Janů, la Cour Constitutionnelle aurait dû mieux traiter cette accusation. « La décision du tribunal a mis fin à une procédure où la Cour Constitutionnelle devait jouer un rôle d’arbitre, dont la tâche est d’éliminer les doutes concernant le fait que le Président n’a pas agi en vertu de la Constitution », dit Janů.
La Cour Constitutionnelle a justifié son action par le fait que le mandat de Klaus a expiré. En effet, la loi relative à l’opération de Klaus au Château de Prague ne précise pas comment réagir lorsque le mandat du Président prend fin au moment de la procédure devant la Cour Constitutionnelle. C’est pour cette raison que l’écrasante majorité des juges constitutionnels a penché vers l’interprétation de la loi la plus favorable à l’ancien chef de l'État. Même si les citoyens sont censés respecter les institutions de l’État, ils ne peuvent pas s’empêcher de suspecter la Cour Constitutionnelle d’avoir négligé un crime à portée plus que grave.
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S’attaquer à l’amnistie ou plutôt à Klaus ?
L’amnistie de Václav Klaus est à considérer comme un geste fort de la part d’un homme d’État, d’un grand homme politique. Seul un personnage fort serait capable d’aller contre l’opinion publique en promouvant ce qu’il considère comme le meilleur. Car les hommes politiques d’aujourd’hui ne proclament que ce qui leur paraît avantageux à l'instant présent. Autrement dit, les hommes politiques n’imposent pas ce dont l’État et sa population ont besoin mais ce qui a le soutien du public et ce qui est attractif aux yeux des électeurs.
L’amnistie de Václav Klaus s’applique à environ 7 milliers de personnes. Or, les médias ne se sont concentrés que sur des cas délicats qu’ils ont ensuite essayé de lier à Klaus. Il s’agit surtout de personnes accusées de corruption ou de détournement de fonds, c’est-à-dire des procès souvent en lien avec la sphère politique. Or, il s’agit aussi de procès qui remontent à huit ans. La question qui se pose est de savoir comment il est possible que le jugement n’ait pas eu lieu avant. Car cette question relève visiblement de l’incapacité du système judiciaire tchèque et n'est pas due à une erreur de la part de l’ancien Président de la République.
Certains journalistes affirment que l’amnistie figure dans les intérêts de Klaus et que c’était un prétexte pour libérer ses « compères », mais il n’existe aucune preuve ni aucun argument pertinent qui pourrait le confirmer. Les médias n’apportent que des accusations trompeuses basées sur des hypothèses fragiles sans aucun témoignage pour les étayer. Et finalement, si l’on voulait mettre en cause l’amnistie de Václav Klaus, cela nous amènerait également à la remise en cause de l’amnistie de T.G.Masaryk de 1935 mais aussi celles de 1993 et 1998 réalisées par V. Havel. Est-ce vraiment ce que les détracteurs souhaitent où est-ce plutôt la chasse à la personnalité de Klaus ? Après avoir mentionné tout cela, il est plus qu’évident que c’est plutôt Václav Klaus qui dérange.
Un acte qui ne peut être comparé aux hautes trahisons historiques
Le 26 février, le sénateur Jiří Dienstbier a confirmé qu’un nombre suffisant de sénateurs, donc 38, a signé la proposition d’accuser l’ancien Président de la République tchèque d’avoir commis un crime de haute trahison. Cela signifie que Václav Klaus devrait être jugé par le Conseil Constitutionnel. Jiří Dienstbier précise néanmoins que l’intérêt n’est pas de juger Klaus personnellement mais surtout de le juger en tant que président, pour que plus jamais cette instance ne puisse agir contre la Constitution. Or le fait d’avoir accusé Václav Klaus d’une haute trahison est-il un acte légitime ? Sûrement pas. Qui ont été les derniers à faire face à une telle accusation ? Les collaborateurs nazis, ceux qui ont en effet commis les crimes contre l’humanité. Mais surtout, il faut se rendre compte que le crime de haute trahison était instrumentalisé par le pouvoir communiste dans les années 1950 afin de purger le parti. La meilleure illustration est le cas de Rudolf Slánský, un militant communiste, secrétaire du parti communiste tchécoslovaque après la Seconde Guerre mondiale. Accusé de titisme, Slánský a été exécuté pour haute trahison comme les autres personnes considérées comme gênantes par le régime.
Václav Klaus n’a pas essayé de renverser la République, de dissoudre l’Assemblée nationale, pas plus que d’attaquer la souveraineté nationale. Il n’a pas réalisé d'attaque terroriste, ni semé la terreur ou fait un sabotage. Le caractère de déloyauté à l’égard de la République n’est pas présent. Le fait d’avoir amnistié 7000 personnes n'a peut-être pas été sa meilleure décision, mais après tout, il n'a pas gracié les meurtriers, les violeurs ou les criminels purgeant une peine supérieure à deux années. A cet égard, il est vraiment illégitime et illogique d’accuser l’ancien président de haute trahison.
La sage décision de la Cour Constitutionnelle
La Cour constitutionnelle a décidé de ne pas intervenir dans cette affaire. Tout d’abord, elle a refusé d’abroger l’amnistie. Et suite à la pétition sénatoriale, la Cour Constitutionnelle a refusé de se reconnaître compétente pour faire trancher sur cette accusation contestée et dont les modalités, les circonstances et surtout les intérêts ne sont toujours pas clairs. L’autre argument est qu’au moment de la plainte déposée, Václav Klaus n'exerçait plus officiellement ses fonctions présidentielles. De plus, en République tchèque il n’existe aucune norme qui détermine comment juger le Président après la fin de son mandat. Il semble donc tout à fait approprié que le Conseil Constitutionnel, organe chargé d'assurer la primauté effective de la Constitution, refuse de statuer dans cette affaire. Ceci peut être bien justifié par le cas de Miloš Jakeš, un homme politique tchécoslovaque, qui a été le 6e Secrétaire général du parti communiste. Jakeš a été accusé d’avoir commis une haute trahison en 1968 : essayer de renverser l’État. Cette accusation a déjà été refusée par la Cour suprême. Pourquoi donc « l’affaire Václav Klaus » devrait-elle être reconnue par la Cour constitutionnelle ? Pour répondre aux cris de plus en plus forts, elle a décidé d’interpréter cette situation comme une lacune législative au profit de l’ancien président Klaus.
Ceci apparaît comme une décision pertinente car vu le caractère polémique du crime, cette instance ne devrait pas devenir une cible et remise en cause à son tour. Finalement il est dans la logique de l’institution même qu'est la Cour Constitutionnelle, qu’elle ne statue pas. Enfin, la République tchèque étant un État démocratique, les citoyens doivent respecter les décisions de ses institutions.
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