L'opération Sangaris

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La France peut-elle mener légitimement une opération en Afrique? Quelles sont les raisons d'intervention des soldats français en Centrafrique?

La triple légitimité de l’opération Sangaris

29/01/2014 - 08:02
L’intervention militaire française en Centrafrique à partir du 5 décembre 2013 peut, contrairement à bien des opérations militaires, se baser sur une triple légitimité : celle du droit, celle de l’humanitaire, celle de l’Europe.

Il ne fait aucun doute que toute une série d’interventions françaises en Afrique, et notamment au lendemain de la décolonisation de cette partie du monde, relevait d’une politique néocolonialiste illégitime. Avec les conséquences désastreuses que l’on sait, notamment dans le cas du génocide rwandais. Pourtant, le traumatisme de ces controverses ne doit pas obscurcir le jugement de l’observateur politique averti. La légitimité de l’opération Sangaris est fondée et trouve sa source dans trois domaines.

L’urgence humanitaire et le consentement à l’intervention

Le désastre humanitaire que représente l’éclatement de la troisième guerre civile centrafricaine entre les rebelles de la Seleka et les anti-balakas ne peut faire débat : avec plus de 1000 morts depuis l’intervention du 5 décembre, les chiffres sont sans équivoque. Cette situation explique l’appel à l’aide de l’Union Africaine, déployée en Centrafrique sous l’égide de la Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique sous Conduite Africaine (MISCA). La nécessité du soutien à l’action de la MISCA par la communauté internationale ne fait pas de doute. Si la France est disposée à impulser ce soutien, nul besoin d’aller chercher dans ses motivations les traces du néocolonialisme. La légitimité humanitaire à intervenir se fonde sur l’urgence de la situation.

Une intervention encadrée par le droit international

L’urgence de la situation humanitaire centrafricaine n’a pas fait oublier à la France la nécessité de fonder son action sur le droit international (nécessité légale par ailleurs bafouée par de nombreuses interventions militaires). La résolution 2127 du conseil de sécurité des Nations Unies, votée à l’unanimité le 5 décembre 2013, autorise la France à prendre « toutes mesures nécessaires » pour appuyer la mission de la MISCA dans sa dimension militaire. Le mandat de l’opération est donc encadré et limité. Mais cela suffit-il pour que la France ne fasse pas dériver son mandat vers une action plus politique ? On ne peut pour l’instant en juger. Toujours est-il que la France n’a pas d’intérêt à s’enliser dans le soutien d’une transition politique. De plus, la durée prévue de l’intervention française (six mois, donc deux fois moins que la MISCA) et la proportionnalité des moyens militaires engagés au mandat confié semblent indiquer que la France ne compte pas outrepasser sa mission.

A cela s’ajoute la promesse faite par l’ONU d’étudier la question de la mise sur pied d’une opération onusienne de maintient de la paix en Centrafrique dans les mois qui viennent, qui viendrait prendre le relai du couple MISCA-France. Le caractère international de ce type d’opération montre à quel point la question centrafricaine dépasse celle de la légitimité de la France.

F. Hollande, moteur de la Politique de Sécurité et de Défense Commune ?

L’opération Sangaris permet à F. Hollande de promouvoir l’intérêt de l’Union Européenne à deux égards. Tout d’abord, l’UE manque cruellement de vision stratégique concernant ses relations avec l’Afrique, ce qui est particulièrement dommageable à ses intérêts, en particulier dans le contexte d’une implantation rampante de la Chine. L’action de F. Hollande a le mérite de relancer le débat au sein de l’UE sur cette question. Ce débat se focalise notamment sur la question du financement, avec la proposition du président français de créer un « fonds permanent européen de financement des missions pour la sécurité du continent africain ». Peut-être plus fondamentalement, une position commune dans l’opération Sangaris permettrait à l’UE de s’affirmer symboliquement unie et active sur le terrain des relations internationales.

La politique n’est pas le terrain des « bons sentiments ». La réflexion sur la légitimité d’une intervention militaire ne peut se passer de ce qui reste le principal ressort des relations internationales : l’intérêt bien compris des Etats, qui peut et doit être envisagé à l’échelle communautaire.

Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.

Une intervention néocolonialiste aux buts géostratégiques et économiques

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29/01/2014 - 07:02
« La France n’a d’autre objectif que de sauver des vies humaines » déclare François Hollande, peu avant le début de l’intervention française en Centrafrique. Qui oserait encore le croire ?

La « Françafrique », voilà le mot. Une fois de plus, la France se fait le gendarme de l’Afrique pour défendre ses intérêts et non ceux des Africains. Par ses multiples opérations militaires, elle maintient son emprise sur ses anciennes colonies, ne voulant en aucun cas leur permettre d’accéder à une réelle souveraineté.

Des intérêts économiques importants

Certains pourraient arguer que la France ne possède maintenant que peu d’intérêts économiques en Centrafrique, étant donné que les échanges commerciaux entre les deux pays ne s’élèvent maintenant qu’à environ 50 millions d’euros par an. C’est oublier la proximité d’Etats dans lesquels la France possède des intérêts économiques d’une importance considérable, à savoir le Congo, le Tchad, le Cameroun ou encore le Gabon, dont les ressources du sous-sol sont abondamment exploitées par la multinationale française Total. En intervenant en Centrafrique, la France défend ses positions privilégiées dans l’ensemble de la région. Par sa position centrale au sein du continent africain, la Centrafrique pourrait mettre en danger les intérêts français. En effet, si la guerre persistait et que l’ordre n’était pas rétabli, une situation anarchique dans cet Etat permettrait l’installation durable de groupes de rebelles hostiles à la France dans la région, notamment islamistes. Et une région instable met bien évidemment en péril la pérennité des intérêts économiques.

A la (re)conquête de l’Afrique

Par ces interventions militaires en Centrafrique et dans bien d’autres Etats africains, la France cherche également à conserver sa place en Afrique, face aux convoitises de pays de plus en plus nombreux, tels que la Chine, les Etats-Unis ou encore le Brésil, quant aux richesses du continent. En effet, ces Etats accroissent depuis plusieurs années leurs relations économiques et diplomatiques avec l’Afrique, en organisant notamment régulièrement des sommets avec les pays africains. A l’aide de sa puissance militaire, la France veut à tout prix rester l’interlocuteur numéro 1 des dirigeants des pays d’Afrique francophone et ne surtout pas laisser ses intérêts aux autres puissances. La France joue également le rôle de « gendarme de l’Afrique » pour pouvoir garder sa place au Conseil de Sécurité de l’ONU.

Il faut aussi noter que le Sommet de l’Elysée organisé à Paris les 6 et 7 décembre 2013 sur la paix et la sécurité en Afrique a été précédé par un autre rassemblement à Bercy cette fois-ci, organisé par le Ministère des Finances et le MEDEF. Six cents chefs d’entreprise y participaient et le souhait de conquérir de nouveaux marchés africains a été clairement exprimé.

Une fausse intervention humanitaire

La justification humanitaire ni tient pas la route. La logique présuppose qu’une intervention faite pour des raisons économiques et géostratégiques, même si elle se pare de bonnes intentions, n’aboutira pas à un succès humanitaire, étant donné que ce n’est pas ce qui est de prime abord recherché.

Mais le problème est encore plus profond. Le fait est que la politique générale de la France à l’égard de l’Afrique sacrifie la stabilité et le développement du continent au profit des intérêts français. Les relations entre la France et l’Afrique francophone, qu’elles soient militaires ou diplomatiques, ne font qu’aggraver les crises politiques et humanitaires africaines. Il suffit de consulter la liste des participants du Sommet des 6 et 7 décembre Paris. Parmi les invités, Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 1987 au Burkina Faso, soutenu dès le début par la France, après l’assassinat de Thomas Sankara, s’étant opposé à l’hégémonie française en Afrique. Mais aussi Idriss Déby, dirigeant le Tchad depuis 1990 et Denis Sassou Nguesso, à la tête du Congo depuis 1979. En soutenant des dictateurs africains et en imposant un pouvoir dont la légitimité démocratique est fortement discutable (dernièrement au Mali le processus électoral a été imposé très rapidement, sans consultation des Maliens et n’a que très faiblement renouvelé la classe politique), la France garantit la pérennité de ses intérêts mais rajoute à l’instabilité africaine en contribuant au maintien d’un pouvoir illégitime, pouvant donc à tout moment être renversé dans la violence.

Une politique équilibriste

La Centrafrique n’échappe pas à ce constat. Le président centrafricain François Bozizé de 2003 à 2013, arrivé au pouvoir à l’issu d’un coup d’Etat, est soutenu par la France, allant même jusqu’à envoyer des troupes en 2006 pour l’aider à lutter contre les rebelles dirigés par son opposant historique Michel Djotodia et le recevant à l’Elysée en 2007. En 2010, la France adopte un partenariat de Défense avec la Centrafique, à un moment où les institutions et l’armée centrafricaines sont prêtes à s’écrouler. Ce soutient acharné au dictateur n’a fait qu’alimenter la guerre civile dans le pays : les rebelles redoublent de violence pour arriver à leur fin et finissent par vaincre, en chassant F. Bozizé du pouvoir et par l’auto-proclamation de M. Djotodia le 25 mars 2013 en tant que Président de la République.

La France parait donc jouer une politique équilibriste. Elle assure son soutien à des dictateurs coopérant avec elle, au risque compris et assumé de favoriser une guerre civile menée par les opposants au despote, puis elle intervient quand les troubles deviennent trop importants et nuisent à son hégémonie. Les conflits civils sont les effets secondaires de la domination de la France, qu’elle « traite » quand ils risquent de prendre le dessus et d’affaiblir son pouvoir.

Il apparaît peu probable que la situation africaine évolue de manière positive tant que les puissances occidentales n’accorderont pas l’indépendance économique à leurs anciennes colonies et fermeront les yeux sur la présence de pouvoirs dictatoriaux au nom de leurs intérêts propres.

Cet article présente intentionnellement un seul parmi les différents points de vue existant sur cet enjeu. Son contenu ne reflète pas nécessairement l'opinion personnelle de l'auteur. Je vous invite à prendre connaissance de la philisophie de Duel Amical.

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